Editorial (janvier 2007)

Publié le par Robert Six

 
Le dessein intelligent !!!
 
Dernièrement s’est tenue à l’ULB (Université Libre de Bruxelles) une journée de recyclage pour les enseignants du degré secondaire. Connaissant certains des animateurs, j’ai eu l’opportunité d’y assister. Le sujet débattu était « Création et Evolution ». En effet, il semble qu’une recrudescence des croyances créationnistes en Europe se fait jour et qu’elle peut inquiéter bon nombre d’entre-nous.
On connaissait le phénomène aux Etats-Unis où des procès ont été intentés dans différents états afin de permettre l’enseignement du créationnisme au même titre que l’évolutionnisme darwinien : le plus célèbre d’entre eux étant le "procès du Singe » en 1925.
Reprenant une enquête menée par la revue « Le Monde 2 » d’octobre 2005[1], on peut y lire ceci : « A l’occasion d’une table ronde tenue le 1er août [2005] avec des journalistes du Texas, il [le président Bush] affirme que l’Intelligent Design devrait figurer aux programmes scolaires, au même titre que le darwinisme.
« Ces deux théories, assène le président, doivent être correctement enseignées de manière à ce que les gens saisissent la nature du débat. L’éducation ne consiste-t-elle pas à exposer les écoliers à différentes écoles de pensée ? »
Déjà, avant son élection, il avait promis s’il était élu que l’on enseigne le récit de la Genèse en même temps que la théorie de l’évolution en justifiant cette position par le soucis que l’éducation dans les public schools ait un fondement moral.
En Italie, même tendance du temps du gouvernement Berlusconi : la ministre en charge de l’instruction publique voulait également imposer cet enseignement.
Une approche analogue se dessine en Grèce, en Suède, en Pologne et même chez nos voisins hollandais !
Ces attaques sont très subtiles car on ne parle plus de créationnisme mais d’Intelligence Design (dessein intelligent), cela fait plus scientifique. Ses partisans estiment que la vie est si complexe qu’elle ne peut provenir que d’un esprit supérieur, un « designer intelligent » qui pourrait être Dieu ou une autre force surnaturelle ; pourquoi pas extraterrestre !
Malheureusement, des scientifiques reconnus lui ont apporté une certaine crédibilité.
Les professeurs de biologie et des sciences de la terre en général se trouvent démunis lorsqu’ils se trouvent face à des étudiants aux idées préconçues pour qui les livres sacrés sont « paroles d’évangile » (sans jeu de mots) et qui n’hésitent pas à rejeter l’enseignement officiel.
Aussi, je renvoie le lecteur à Stephen Jay Gould, ce biologiste évolutionniste bien connu par ses prises de position contre l’offensive, sous la bannière de la « science de la Création » des organisations fondamentalistes protestantes aux Etats-Unis.
L’un des derniers ouvrages qu’il nous laissa est intitulé Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! »[2] débat du sujet. Il y défend le principe de non-empiètement (NOMA : Non-Overlapping Magisteria) entre science et religion afin de désamorcer dans un premier temps le combat sur le front de la biologie.
Il demande que chacun exerce ses compétences dans son domaine propre. En proposant ce principe, Gould n’adopte pas une position de recul par rapport à son combat constant mais il se bat sur un double front : contre les prétentions scientifiques inacceptables de certains théologiens américains et contre les extrapolations scientistes arrogantes de certains biologistes.
Pour développer son principe de NOMA, notre biologiste se risque à emprunter un terme peut-être un peu désuet au vocabulaire de la théologie chrétienne, celui de magister, c’est-à-dire enseignant. Les magisters de la science et de la religion ne doivent plus s’opposer. Chacun d’eux sont des domaines entièrement différents qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre à part qu’ils s’occupent chacun d’une facette essentielle de l’existence humaine.
La science est avant tout basée sur un ensemble de faits établis et les théories ou hypothèses avancées peuvent être confirmées ou remises en question. Les expériences qu’elles entraînent peuvent être reproduites. Par contre, le magister de la religion est basé sur des propositions fondées sur la seule autorité, érigés en dogmes. Aucun fait établi et reproductible n’y est possible. Ce magister est du domaine de la conviction intime personnelle et par cela même ne peut en aucun cas interférer avec le magister de la science.
 
Robert Six


[1] Dieu contre Darwin - L’Amérique de Bush à l’assaut de l’évolution, in Le Monde 2, N° 86 du 8 au 14 octobre 2005.
[2] Gould S.J. – Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! », Editions du Seuil, 2000.

Publié dans Editoriaux

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article